Raïf Badawi
Comme souvent vers 17h20 je sens que le temps vient à me manquer. Je tape frénétiquement sur le clavier de mon ordinateur portable, devant moi l’écran de contrôle du Parlement est en train de diffuser comme toujours les images des débats qui se déroulent quelques étages plus haut dans l’hémicycle.
De temps en temps le geste brusque d’un interlocuteur me fait lever les yeux quelques instant vers le moniteur mais ce n’est que rarement que j’attrape le casque qui me permettrait de rajouter le son à l’image.
Je tourne la tête par reflexe vers l’horloge qui au plafond à ma droite en me faisant la réflexion que je pourrais simplement regarder sur l’écran de mon pc ou encore ma montre, mais dans mon esprit les horloges rouges qui rythment tous les 10 mètres les allées de la salle de presse sont l’heure avec un h majuscule.
Nerveusement j’efface les quelques lignes sur le traitement de texte, je suis mécontent, je n’ai pas le temps de ne pas savoir quoi écrire, mais l’inspiration me fait défaut : comment rendre compte d’un évènement, qui vu par mon agenda était mineur, et qui au fond n’a de consistance que par les différends moments communs qui lui ont été consacré.
Non décidement je sèche. Oui j’ai bien posé une question en conférence de presse mais une question isolé ne fera pas vivre à mes auditeurs le prix Sakharov 2015.
Je fixe l’écran devant moi avec l’image de l’hémicycle mais mes pensées sont ailleurs, elles errent le long des images de ma journée. Je me revois dans le tram en train de regarder ce grand batiment rond dans lequel je vais m’enfermer pour le reste de ce mercredi.
Le ciel gris de Strasbourg détonne avec la douceur de l’air, on m’avait promis de la neige en décembre...je n’ai jamais eu aussi chaud depuis que je viens dans l’Est. Je passe à présent les portiques de sécurité en montrant aux vigiles mon badge presse jaune poussin.
Je me rend compte que je souris toujours à la sécurité ou au différent point de contrôle dans le batiment comme si je pouvais un peu egayer leurs journées.
D’un coup je me revois ici, à mon bureau, devant ce même écran de contrôle, j’observe l’épouse du prix Badawi en train de descendre dans l’hémicycle avec le portrait de son mari dans les mains.
Je m’interroge. Aurais-je pensé à sa place à prendre une photo de ma femme pour la montrer à la foule qui applaudit. Je m’arrête un instant. Dans mon esprit le puzzle vient de s’assembler d’un coup.
Comme un salarié de la SNCF attacherait les wagons d’un train ensemble je vois mon direct de ce soir se dessiner devant mes yeux. Je sais où sera l’émotion, comment je vais l’amener progressivement aux oreilles des auditeurs.
Je souris, je tourne la tête vers l’horloge tout en maugréant intérieurement...je perds toujours autant de temps pour une horloge, mais je m’en moque, je tiens mon sujet et maintenant le temps va filer différement.